vendredi 29 décembre 2017

L’Intermarium : Construction régionale européenne et Géopolitique polonaise


(rédigé par Arno Zaglia, corrigé par Olivier Lancelot)

En 1918, la Pologne acquiert son indépendance après plus de 100 ans de domination étrangère, à savoir les empires d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie et de Russie. Avant même que la communauté européenne ne voit le jour en 1957, l’idée de former une fédération européenne était déjà évoquée : la fédération d’entre deux mers ou l’Intermarium. Après avoir disparu des agendas politiques, le concept semble redevenir populaire et concret.

Le concept d’Intermarium voit le jour à la fin de la Première Guerre mondiale en Pologne. Malgré l’euphorie, le nouvel État voit sa survie menacée par l’avancée des Bolcheviques à l’Est et l’instabilité politique et sociale à l’Ouest. La renaissance de la Pologne et la désintégration de l’Empire russe est une opportunité pour Jozef Pilsudski de vouloir rétablir les anciennes frontières de la République des Deux-Nations (dès lors appelée Première République de Pologne). A son apogée, elle s’étendait de la Courlande jusqu’au Dniepr, soit de la Baltique jusque quasi la mer Noire.

La première esquisse de la fédération aurait été de fonder une nouvelle union polono-lituanienne, comprenant donc la Deuxième République de Pologne, la Lituanie mais aussi la Biélorussie actuelle et l’Ukraine. C’est ce que la première proposition prévoyait entre 1919 et 1921. Le deuxième plan de 1921 à 1935, le plus ambitieux, voulait intégrer les pays scandinaves, l’Italie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Grèce, le Danemark et la Yougoslavie, la Pologne, l’Ukraine et les Pays baltes. Sans surprise, il échoua aussi. Enfin, le troisième plan (1935-1939), plus restreint, voulait inclure la Deuxième République de Pologne, les royaumes de Hongrie et de Roumanie mais la Seconde Guerre mondiale vint mettre définitivement un terme à l’espoir d’une fédération européenne.

Trois plans ont été imaginés et aucun ne s’est concrétisé. La faute à plusieurs raisons :
  • La première raison est la crainte de perdre à nouveau son indépendance. La Lituanie, l’Ukraine et les autres invités (Hongrie, Tchécoslovaquie) voyaient cette institution supranationale comme une menace à leur liberté à peine acquise.
  • Deuxièmement, ces pays étaient en conflit avec leurs voisins ou connaissaient des tensions diplomatiques compromettant toute chances d’alliance ou de collaboration. La Lituanie n’avait pas de relations diplomatiques avec la Pologne jusqu’en 1938, après une courte guerre concernant les régions de Wilno et de Suwalki. Bien que victorieux, les Polonais ont perdu la confiance des Lituaniens.
  • Troisièmement, les nationalismes empêchaient toute idée de fonder un État multiculturel et surtout les nationalistes polonais qui voulaient garder jalousement une Pologne ethniquement homogène.
L’idée de bâtir une alliance en vue de créer un cordon sanitaire entre l’Ouest et l’Union soviétique a lamentablement échoué à cause des tensions régionales. Une aubaine pour l’URSS et le Troisième Reich qui envahirent ces pays.

Renouveau et enjeux

Après la Seconde Guerre mondiale et l’établissement d’un régime communiste contrôlé par les Soviétiques, le concept d’Intermarium n’a plus été mis à l’ordre du jour politique. Il en fut de même lors de la chute du communisme et les adhésions à l’OTAN et l’UE, qui furent des options plus attirantes. Ainsi, l’adhésion de la Pologne à l’OTAN en 1997 et à l’UE en 2004 lui a permis de gagner en visibilité sur la scène internationale et régionale. Cela lui a également permis de sécuriser ses frontières et de renforcer ses liens avec ses voisins de l’Ouest.

Une fois ancrée à l’Ouest, il ne restait plus pour Varsovie que de sécuriser ses frontières orientales. La Pologne est l’un des plus fervents partisans de l’intégration européenne à l’Est, d’où son soutien à la Révolution Orange de 2004-2005 en Ukraine et aux gouvernements pro-européens.

Dans ce contexte, l’Intermarium n’a plus été évoqué sérieusement jusqu’à ce que des causes extérieures et européennes justifient sa réapparition.

Les causes extérieures sont l’annexion surprise de la Crimée par la Russie et son implication dans le Donbass russophone, les régions séparatistes est-ukrainiennes. Cette succession d’actions bien réfléchies et coordonnées ont poussé les Polonais à revoir leur stratégie vis-à-vis de la Russie. Il est clair pour eux que la Russie cherche à déstabiliser l’Ukraine et l’Europe. Ce sentiment de menace est d’autant plus exacerbé par le manque de réaction de l’UE et de l’OTAN et ce, malgré les avertissements de la Pologne et des Pays baltes. Les Ukrainiens, les Polonais et les Baltes sont non seulement déçus vis-à-vis de ces deux institutions mais elles commencent à douter de leur efficacité.

Quant au niveau européen, l’hégémonie économique et politique allemande ainsi que les pressions et les critiques virulentes de l’UE à l’égard de leur politique intérieure et migratoire ont donné à la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie et les Pays baltes le sentiment d’être relégués au rang d’États périphériques. Avec une Europe qui cherche à imposer sa volonté aux États membres et son impopularité croissante, l’Intermarium est un moyen de prendre ses distances avec Bruxelles mais surtout de se réorganiser sur une base régionale.

La fédération Intermarium serait plus qu’un club de pays périphériques de l’UE, c’est également une garantie de sécurité et de stabilité pour l’après UE réunissant les pays liés par l’Histoire, la géographie, l’économie et la géopolitique. Le concept semble désormais se concrétiser avec la fondation de l’Initiative des trois mers en 2016. Il s’agit d’un forum intergouvernemental composé des membres du groupe Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie et République tchèque), des trois Pays baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie), de la Roumanie, de la Bulgarie, de l’Autriche, de la Slovénie et de la Croatie. A elle seule, elle lie la mer Baltique, la mer Noire et la mer Adriatique. Les gouvernements travaillent sur le projet d’une ligne de communication reliant Klaipeda à Thessalonique ainsi que sur des infrastructures de gaz naturel liquéfié dont des terminaux en Pologne et en Croatie et un pipeline de raccordement. L’objectif est déjà de s’affranchir du gaz russe, arme géopolitique aux mains du Kremlin.

L’Europe alternative

Le concept d’Intermarium a changé en 100 ans. D’abord, cherchant une Europe unie et fédérale, l’Intermarium est devenu une sorte de troisième voie politique, une alternative à l’UE : celle d’une Europe conservatrice avec des États souverains luttant aussi bien contre le projet néoimpérialiste russe (Union eurasiatique) mais aussi contre le projet fédéraliste et libéral émanant de Bruxelles (États-Unis d’Europe). S’il est vrai que le mouvement a été détourné par l’extrême-droite et des gouvernements non libéraux, la volonté de fédérer des États européens contre une menace commune pourrait bien faire marcher le concept. Les griefs du passé ne semblent pas pour le moment fragiliser le nouveau clan européen et l’UE semble même encourager ce genre d’initiative régionale du moment qu’elle n’empiète pas sur les compétences de l’UE ou de l’OTAN. Pour l’instant, l’Initiative des trois mers démarre bien. La question qu’il faut se poser concerne son intégration post-UE : restera-t-elle un forum intergouvernemental ou évoluera-t-elle vers une confédération d’États indépendants ou une entité supranationale ?

Bibliographie

samedi 8 juillet 2017

Guerre du Donbass : une analyse stratégique

(rédigé par Arno Zaglia pour le Centre d'Etudes des Crises et Conflits Internationaux de l'Université catholique de Louvain. La version ci-présente du texte a été relue et modifiée par Olivier Lancelot)

Le 6 avril 2017 vient de marquer le troisième anniversaire du début de la Guerre du Donbass, conflit qui vient de tuer 10.000 personnes et de déplacer un million et demi de civils. Malgré tout, l’entrée en vigueur des Accords de Minsk (2015) et la guerre contre l’État islamique semblent avoir totalement détourné l’attention de l’opinion publique alors que sa proximité géographique et son intensité devraient attirer davantage notre attention. Une occasion de présenter une étude stratégique afin d’aborder les différents les différentes facettes de cette crise. Ainsi, cet article a donc pour objectif d’identifier les causes et les circonstances de cette guerre, les acteurs impliqués, les enjeux stratégiques, opérationnels et tactiques, le type de guerre et l’identification des « centres de gravité ».

Une société profondément divisée

L’éclatement de la Guerre du Donbass est la conséquence de différents clivages qui ont divisé l’Ukraine entre l'Ouest et le Centre, d'un côté, et le Sud et l'Est, d'un autre côté, les deux parties étant grosso modo séparés par le fleuve Dniepr.
 
Premièrement, la structure ethno-politique de l’Ukraine a longtemps favorisé les rivalités politiques et économiques. On constate que l’Ouest ukrainien est ukrainophone alors que l’Est est russophone ; l’Ouest est plutôt rural tandis que l’Est est fortement industrialisé ; enfin, le Centre-Ouest est europhile et l’Est russophile. Cette situation se concrétisa par des tensions croissantes entre les deux Ukraine et, donc, entre les autorités ukrainiennes et les populations russophones (rattachement de la Crimée à la Russie, sécession du Donbass, troubles dans le (Sud-)Est russophone).

Par rapport à cette première circonstance, sur le plan idéologique, on voit s’opposer le centralisme nationaliste ukrainien et le régionalisme russophone aux vocations irrédentistes, d’un côté, et les modèles de conception européenne et russe de la démocratie et de l'Etat de droit, d’un autre côté. Dans ce cadre, la rotation des différents gouvernements (une fois pro-russe, une fois pro-européen) ont nourri au sein de chaque groupe un sentiment d’être dominé par l’autre groupe. La Révolution de février 2014 a été perçue par les russophones comme un coup d’État des Ouest-Ukrainiens. En outre, sur le plan géopolitique, le régionalisme autonomiste est-ukrainien, concrétisation du sentiment des russophones d'être oppressés et menacés, est doublé par un irrédentisme russe. La géopolitique du Kremlin étant caractérisée par son sentiment d'insécurité, la Russie a mis en place différentes mesures en vue de soutenir les minorités russes et russophones du Sud-Est ukrainien face à un gouvernement nationaliste russophobe.

Mais cette division n'est pas récente car elle s'ancre dans une histoire parfois douloureuse. Ainsi, jusqu'en 1939-1945, le centre, le Sud et l'Est de l'actuelle Ukraine étaient sous le contrôle de l'Empire russe, puis de l'Union soviétique tandis que l'Ouest (principalement la Volhynie et la Galicie) appartenait à l'Autriche-Hongrie, puis à la Pologne. Cette situation avait donc engendré une évolution différentiée au sein même de l'Ukraine entre un Ouest ayant évolué dans un milieu occidentalisé (Europe, démocratie et libéralisme) et un Est ayant évolué dans un environnement russe (autoritarisme, internationalisme et communisme).

L’Ukraine est aussi l’un de ces pays post-soviétiques ayant du mal à se développer. La pauvreté, la corruption et l’État de droit bafoué ont poussé des centaines de milliers d’Ukrainiens à travailler ou à vivre à l’étranger. Cette situation est une occasion pour les Européens et les Russes pour attirer l’Ukraine dans une de leur union économique. L’Ukraine fut aussi tiraillée entre deux modèles politiques et économiques.

Les acteurs engagés

Ainsi, les combats teintés d’une extrême violence reflètent ces fractures entre l’Ouest et l’Est. Pour les habitants du Donbass, l’Ouest de l’Ukraine est le terreau du néo-nazisme[1] et de l’élite libérale responsable de son déclin économique alors que pour les Ukrainiens de l’Ouest, le Donbass est considérée comme une région arriérée, à la culture mafieuse et comme un réservoir de nostalgiques de l’ère soviétique[2].

Les acteurs engagés sont divers. Du côté des loyalistes (les partisans du nouveau gouvernement), il faut identifier les militaires sous l’autorité du ministère de la Défense incluant l’armée de terre, la marine, les troupes aéroportées et l’armée de l’air tandis que la Garde nationale ukrainienne, les forces de police, les régiments Azov et Donbas sont sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Le commandant suprême des forces armées ukrainienne est le président, Petro Poroshenko, suivi par le ministre de la Défense, Stepan Poltorak. Il faut aussi ajouter les bataillons de volontaires qui évoluent en toute autonomie (Pravy Sektor, l’Organisation des nationalistes ukrainiens ainsi que les bataillons
étrangers[3]). Diplomatiquement, l’Ukraine est soutenue par l’Union européenne, les États-Unis, le Canada et l’OTAN. Si aucune troupe occidentale n’est impliquée dans le conflit, le Canada et les États-Unis fournissent aux Ukrainiens du matériel non létal (gilets pare-balles, drones, vêtements, véhicules et conseillers militaires ont été déployés).

A l’opposé, du côté des insurgés pro-russes, on retrouve la République populaire de Donetsk (DNR) et la République populaire de Lougansk (LNR), dont les forces sont composées de miliciens, de professionnels et de volontaires étrangers. Pour ces derniers, la lutte contre le néo-nazisme ukrainien et les valeurs occidentales les a motivé à rejoindre les séparatistes. Au cours du conflit, l'organisation militaire des forces de la « Nouvelle-Russie » a évolué passant de combattants faiblement équipés et entraînés à de véritables militaires professionnels. De plus, parallèlement aux forces susmentionnées,
des acteurs privés sont engagés à leurs côtés, à l'instar des associations et partis politiques russes ou ukrainiens (comme les mouvements eurasistes, par exemple) qui fournissent une couverture politique et médiatique. Il n’est pas exclu que les insurgés et les forces gouvernementales emploient également des mercenaires.

L’opération « anti-terroriste » de Kiev a mobilisé 30.000 hommes au début du conflit puis 60.000 sur les 200.000 hommes dont disposent les forces armées de l'Ukraine pour faire face à 10.000, puis 40.000 rebelles.

La guerre hybride : une stratégie ancrée dans la tradition russe

Le concept de guerre hybride est difficile à définir du fait des changements sémantiques que les stratèges lui ont apportés. Au sens strict, une guerre hybride est une combinaison des moyens militaires et non-militaires (paramilitaires, miliciens, hackers), d’approche directe et indirecte. Au sens large, elle peut inclure des moyens détournés comme la diplomatie, l’économie ou les médias.

Combiner forces militaires, civiles et paramilitaires n’est pas nouveau. Ainsi, la guerre hybride menée par la Russie n’est autre qu’une réaction à la Guerre du Kosovo, au Printemps arabe et aux Révolutions de couleur. La Russie a perçu ces événements comme une forme nouvelle de guerre visant à la déstabiliser sa sphère d'influence par des moyens détournés : pressions des ONG, sanctions diplomatiques, embargos commerciaux, campagnes médiatiques internationales, instrumentalisation de l’opposition et frappes aériennes, tout pour renverser un régime proche ou potentiellement ami pour la Russie. Estimant que la Russie était menacée, les stratèges russes ont développé à leur tour une nouvelle physionomie de la guerre. De la Géorgie en 2008 à l’Ukraine, la Russie a instrumentalisé les oppositions séparatistes, a mis en oeuvre un argumentaire juridico-diplomatique et a mené une campagne médiatique internationale à travers des agences d’informations étatiques (Russia Today, Sputnik) et les réseaux sociaux. Si les moyens ont changé, ce mode d’action est resté bien ancré dans la tradition stratégique russe. L’usage de feintes, de camouflages, de faux renseignements et de manoeuvres politiques factices s’inscrivent dans la tradition de la maskirovka.

Les évènements de février 2014 en Crimée est une mise en oeuvre réussie de l’approche indirecte. Vladimir Poutine et l’état-major russe ont profité du désordre post-révolutionnaire à Kiev, des manoeuvres militaires russes prévues depuis des mois et de l’hostilité des russophones à l’Euromaïdan pour envahir la Crimée. Grâce à la coupure des communications et à un travail de renseignement, les forces spéciales sont parvenues à prendre le contrôle des bâtiments officiels et des bases ukrainiennes en quelques heures. Non seulement la Russie a pu préserver sa puissance en mer Noire mais en plus elle a réussi à capturer le matériel militaire ukrainien (armements, munitions, équipements, véhicules, avions, navires, etc.)[4] sans effusion de sang.

Enjeux stratégiques, opérationnels et tactiques

Le conflit dans le Donbass se divise en trois niveaux : un niveau stratégique, un niveau opérationnel et un niveau tactique. Ainsi, pour Kiev, l’objectif principal de la reconquête du Donbass est d’ordre économique et politique. Étant un pôle industriel et économique important, sa sécession pourrait handicaper le développement économique de l’Ukraine déjà pénalisée par la perte de la Crimée et par la récession. En effet, le Donbass est une région industrielle incontournable avec ses industries lourdes (métallurgies, sidérurgies, etc.) et ses mines de charbon, dont la production approvisionne l’Ukraine et garantit des revenus en exportation. Le Donbass est aussi un objectif politique important : reprendre la région permettrait à l’Ukraine d’affirmer à la Russie sa volonté de sortir définitivement de sa sphère d’influence.

Pour le Donbass, l’objectif principal est de chasser les troupes loyalistes hors des limites administratives des Oblasts de Donetsk et Lougansk et d’aspirer à devenir soit un État indépendant, soit une entité autonome au sein de l’Ukraine. Le Donbass cherche à tout pris à conserver la continuité territoriale avec les frontières orientales en vue de préserver un lien géographique avec la Russie, lien vital pour leur survie même. Dans l’usage de la guerre hybride comme stratégie, DNR et LNR ont emboîté le pas de la Russie. Elles disposent d’une armée bien équipée, de paramilitaires et aussi de moyens civils (agences de presse et représentations consulaires notamment).

A travers la stratégie de la guerre hybride, la Russie a pour objectif de déstabiliser l’Ukraine de sorte que le pays ne puisse pas intégrer la sphère d’influence occidentale. Un pays ruiné et politiquement instable n’est pas attractif pour une éventuelle adhésion à l’OTAN ou l’UE. Étant un « pivot géostratégique », l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN fragiliserait la position de la Russie[5]. Dans la même logique, Vladimir Poutine désire restaurer l’autorité de la Russie dans sa sphère d’influence traditionnelle et convoite le Rimland européen, instable. Scénario extrême : la Russie peut espérer que la victoire militaire et politique de ses alliés conduira à un démantèlement de l’Ukraine. L’Ouest pro-occidental, le Sud et l’Est pro-russe.

A l’opposé, pour l’OTAN et l’Union européenne, principaux soutiens de Kiev, l’objectif est de protéger son flanc oriental contre une Russie perçue comme une puissance révisionniste aux aspirations néo-impérialistes. En revanche, les États européens sont divisés concernant la position vis-à-vis de la Russie. Des pays comme la Pologne, la Suède ou les Etats baltes veulent des sanctions fermes tandis que la Hongrie, la Slovaquie et la Grèce cherchent à assouplir les sanctions.

Concernant l’enjeu opérationnel, il faut retenir deux théâtres d’opérations : le théâtre ukrainien, qui est un théâtre militaire, et le théâtre international, qui est non-militaire. Ainsi, le premier objectif des Russes et des insurgés pro-russes est de chercher à infliger des pertes aux Ukrainiens de sorte de changer le cours de la guerre en accumulant les succès tactiques. Le second est d’agir sur la volonté et la cohésion des Ukrainiens et des Occidentaux. Pour cela, l’arme la plus efficace est le doute, la désinformation et le dénigrement de l’adversaire[6]. Même si les séparatistes ne gagnent rien sur le front ukrainien, gagner le théâtre international sera décisif dans la poursuite de la guerre. Après la Révolution de février 2014, le Kremlin a organisé une campagne médiatique et informatique agressive mais efficace contre le nouveau gouvernement ukrainien et les institutions occidentales.

De son côté, Kiev lutte aussi bien sur le théâtre militaire que sur le théâtre international en cherchant à contrecarrer la propagande pro-russe. Le site d’information « StopFake » a été fondé en plusieurs langues en tant que « debunker ». Son objectif principal est l’identification et la déconstruction des fausses informations diffusées par le Kremlin et ses sympathisants. Sur le théâtre ukrainien, Marioupol est un objectif capital pour les différents belligérants car si la ville tombait, les pro-russes pourraient créer un pont maritime (voire terrestre) avec la Crimée. Une telle victoire des Républiques populaires aurait un impact psychologique négatif sur l’opinion publique ukrainienne et dont la victoire des séparatistes pourrait galvaniser l’autonomisme ou le séparatisme dans d’autres régions[7].

D’un point de vue tactique, nous observons une nouvelle guerre de tranchées. Cela se résume souvent à des escarmouches pour contrôler des postions tactiquement avantageuses. Des patrouilles s’accrochent dans des zones contestées. Ce sont souvent des échanges de tirs d’armes automatique, de roquettes ou de grenades. Pour Kiev, la tactique actuelle des séparatistes ressemble à celle du Hamas, c’est-à-dire provoquer son adversaire et espérer que sa riposte violente entraîne des pertes civiles et poussent les habitants à rejoindre les rangs des séparatistes.

Avant les Accords de Minsk, loyalistes et séparatistes avaient recours à des tactiques conventionnelles comme la coupure des voies de communication, les embuscades et l’encerclement. La guerre aurait pu tourner court pour les séparatistes mais ils ont réussi à attaquer les loyalistes au moment où le point culminant de l’assaut avait été atteint. En effet, le relâchement des troupes qui voyaient une victoire certaine et l’étalement de leur lignes de communication leur ont été fatal. Saisis par la surprise, ils furent débordés et isolés dans plusieurs chaudrons. Le siège l’Ilovaïsk a été un désastre pour les Ukrainiens. N’ayant pu investir la ville, ils furent encerclés et décimés. Cet échec s’explique également par l’absence de commandement centralisé pour leurs 50.000 hommes alors que les rebelles avaient établis un commandement centralisé pour leurs 15.000 combattants. Résultat : des centaines d’hommes ont été mis hors de combat et le matériel lourd fut détruit ou capturé. Marioupol a même failli être investie par les séparatistes. La contre-offensive aurait été appuyée par plus d’une centaine de blindés et un millier d’homme en provenance de Russie. Parmi eux, des troupes de la 76ème Division aéroportée venant de Pskov.

En résumé, la stratégie ukrainienne de 2014 a été déstabilisée par la stratégie russe et la disproportions de ses moyens qui ont compromis ses plans. Les Ukrainiens s’imaginaient à une opération de police qui ne durerait que plusieurs semaines. Les causes sont multiples : la récession économique, les infrastructures insuffisantes, la désuétude de l’arsenal militaire[8], la corruption généralisée dans les niveaux politiques et militaires et enfin une organisation confuse[9]. L’Ukraine doit aussi lutter sur un front non-militaire dont les pro-Russes et la Russie exploitent des moyens de communication récents et largement suivi à l’inverse des médias traditionnels. Face à ce déséquilibre, l’Ukraine a le choix : adapter les moyens aux fins politiques ou bien d’adapter les fins politiques aux moyens.

Centre(s) de gravité: options pour l’Ukraine

Le centre de gravité est la source de force morale et physique, de puissance et de résistance. Il peut s’agir du soutien populaire et de la puissance militaire[10]. Le détruire enlèverait à l’adversaire toute envie de poursuivre la guerre.

Si l’Ukraine veut gagner la guerre, il est évident qu’elle devra désolidariser les séparatistes de Moscou soit en contrôlant les frontières, soit en jouant sur la diplomatie pour troubler l’alliance entre les Russes et les séparatistes[11]. La première option a échoué pendant les offensives de 2014.

Points stratégiques, Donetsk et Lougansk sont les capitales respectivement de la DNR et de la LNR, elles sont les centres politiques et administratifs, elles fournissent le gros des troupes. Donetsk est en plus une ville économiquement importante, la priver de ses mines de charbon et de ses haut-fourneaux la saignerait à blanc mais Kiev risque aussi de payer cher sa reconstruction dès qu’elle reprendra le contrôle.

Porter la guerre à la population est aussi une option. La course à la mer du Général Sherman en 1864 et la guerre de Tchétchénie en sont des exemples, surtout que c’était des guerres civiles. Toutefois, faire la guerre à la population peut être contre-productif car si elle appartenait au même pays, l’attaquer sans aucune retenue pourrait la rendre neutre voire hostile[12]. Gagner le soutien de la population est un plan à envisager mais le sentiment anti-ukrainien et l’ambiance martiale en au sein des citoyens du Donbass ne faciliteront pas la tâche de Kiev.

Enfin, neutraliser les centres de commandement pourrait aussi briser toute envie de poursuivre la guerre. Entre 2014 et 2016, des commandants pro-russes ont mystérieusement été assassinés. Les séparatistes ont imputé la responsabilité à Kiev mais ce dernier a affirmé que la DNR et la LNR étaient en proie à des luttes internes, voire à une purge sous ordre du Kremlin lui-même. Si l’Ukraine était vraiment responsable de la mort d’Arsen « Motorola » Pavlov et de Mikhaïl « Guivi » Tolstykh[13], elle pourrait continuer en ce sens. En effet, faute de remplaçants aussi compétents que charismatiques, l’ennemi pourrait être démoralisé ou désordonné.

Conclusions

Les clivages au sein de la société ukrainienne ont fertilisé les tensions qui ont conduit à la guerre. La Révolution de février 2014 a été l’étincelle qui a enflammé l’Ukraine. Malgré sa détermination, le manque d’organisation et de moyens de l’armée ukrainienne combinés avec la stratégie de guerre hybride russe ont mis l’Ukraine dans un État de faiblesse. Mener une guerre d’usure sur le front militaire lui sera très coûteuse vu les moyens limités mais relancer les hostilités serait un pari dangereux car la Russie pourrait réagir à la violation des Accords de Minsk.

Il faudrait que l’Ukraine et ses alliés développent une contre-stratégie pour lutter efficacement contre la guerre hybride, car contrairement à la Russie qui a pu exploiter les NTIC[14], l’OTAN est tombée dans son propre piège et a du mal à s’adapter à cette forme de guerre. La Russie pourrait récidiver là où une minorité russe importante pourrait se sentir menacée par un gouvernement nationaliste. Les Etats baltes (voire la Biélorussie et le Kazakhstan, proches de Moscou) pourraient être les prochaines victimes et même si ceux-ci sont membres de l’OTAN, la guerre hybride parviendrait à contourner le mécanisme de défense collective. La guerre en Ukraine est devenue complexe : les armes se sont presque tues mais tout se joue maintenant sur le front international entre la Russie et les puissances occidentales.

Notes et références en bas de page :
[1] C’est dans les oblast de Ternopil et Lviv que le parti Svoboda a enregistré ses meilleurs scores électoraux.
[2] La région fut négativement décrite en 2005 par Viktor Tkachenko, éditorialiste du journal Narodne slovo.
[3] Parmi eux des Tchétchènes, des Géorgiens, des Croates, des Polonais, des Américains et des Albanais.
[4] Une cinquantaine de navires ukrainiens et un sous-marin. Un accord a été trouvé pour rendre une partie des navires.
[5] Voir « Le Grand Echiquier » de Zbigniew Brzezinski.
[6] Euromaïdan serait perçue comme un Coup d’Etat fasciste et un complot américain.
[7] Parmi les régions à risque, on peut citer le cas des oblasts suivants :
  • L'Oblast de Transcarpathie, peuplé par une minorité de 12-13% de Hongrois ;
  • L'Oblast de Tchernivtsi, peuplé par une minorité roumanophone (Roumains et Moldaves) ;
  • L'Oblast d’Odessa, peuplé par une minorité de 21% de Russophones.
[8] Une flotte aérienne réduite, des appareils et des véhicules vieux d’une trentaine d’années.
[9] Les bataillons déployés appartenaient à différents ministères ou à des services autonomes. Il n’y a eu aucune centralisation et aucune clarté tactique.
[10] A travers la qualité de ses chefs, de ses forces armées elles-mêmes et des centres économiques et industriels produisant le matériel de guerre.
[11] Voir Sun Tzu.
[12] La bataille de Grozny de 1994-1995 a entraîné de lourdes pertes chez les civils. Cela a renforcé le sentiment anti-russe et conduisit des civils à rejoindre les moudjahidins.
[13] Ces commandants se sont illustrés lors de la bataille de l’aéroport de Donetsk et d’Ilovaïsk. Ils incarnent donc les symboles de la déroute ukrainienne. Par ailleurs, Pavlov a été accusé d’avoir exécuté des prisonniers de guerre.
[14] Nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Bibliographie
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Pro-Russian rebels have 40,000-strong army, sufficient for 'mid-sized European state': Ukraine defence minister, ABC AU., http://www.abc.net.au/news/2015-06-09/ukrainianrebels-have-army-the-size-of-small-european-state/65308288, 08 juin 2015, consultée le 27 mars 2017.
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YAKOVLEFF Miche, Tactique théorique. Troisième édition, Coll. « Stratégies et Doctrines », Economica, 2016.

samedi 8 avril 2017

Histoire militaire de la Fédération de Russie (2° partie)

Armée russe, facteur de puissance et d’influence au sein de la CEI
(rédigé par Olivier Lancelot) 

Introduction

Au terme de l’article précédent (disponible ici !) qui traitait de l’Histoire militaire de la Russie post-soviétique entre 1990 et 1992, l’armée (ex-)soviétique n’a plus de statut officiel – malgré un contrôle de facto russe. Dès lors, il faut statuer sur le devenir de ces forces armées. Suite aux accords de Minsk (8 décembre 1991) et d’Alma-Ata (21 décembre), la récente Communauté des États indépendants (CEI) est chargée de s’occuper de la difficile question du devenir des forces conventionnelles de l’armée ex-soviétique. 

Parallèlement, ces accords mentionnèrent également que l’espace post-soviétique demeurerait un espace stratégique commun aux anciennes républiques soviétiques qui seraient membres de la CEI. C’est dans ce cadre que la Russie était parvenue, le 30 décembre, à un accord avec la Biélorussie, l’Ukraine et le Kazakhstan en vue d’instaurer une commandement unifié – russe - sur l’ensemble des forces stratégiques présentes sur leurs territoires respectifs[1] [2]. Cette mesure avait permis de rassurer la communauté internationale, l’OTAN en tête, qui souhaitait éviter d’assister à la prolifération nucléaire dans l’espace post-soviétique. 

Ainsi, ce second article traitera d’une période allant de la détermination du sort de l’armée ex-soviétique (le 14 février 1992) à la fin du rapatriement de la majorité des anciennes troupes soviétiques stationnées à l’étranger (année 1994). Cette période est caractérisée non seulement par le dépeçage de l’armée ex-soviétique et les implications de l’armée russe à travers la CEI dans les différents conflits sécessionnistes ou ethniques pour maintenir l’influence politique, militaire et sécuritaire de la Fédération de Russie au sein de l’espace post-soviétique mais également par son implication dans les affaires intérieures de la Russie même. 

La tentative de mise en place d’un commandement militaire intégré de la CEI

Drapeau de la Communauté des Etats indépendants (CEI). 
Dès début 1992, il apparaissait déjà que « le projet russe d’intégration politique, économique et militaire de la CEI vis[ait] en fait à former un « étranger proche », sous le contrôle de Moscou[3] », ce qui n’empêcha pas la plupart des anciennes républiques soviétiques d’y adhérer afin de « permettre la gestion en commun des interdépendances héritées de la période soviétique[4] ». 

Déjà insistante sur l’importance du maintien de l’intégralité et de l’unicité de l’armée (ex-)soviétique lorsque l’URSS n’était pas encore définitivement abandonnée, la Russie ne renonça pas à ces projets de maintenir, au moins, un commandement militaire unifié aux forces conventionnelles des membres de la CEI[5] afin de maintenir son influence sur les questions militaires et sécuritaires au sein de l’espace post-soviétique. C’est dans ce contexte que Moscou retarda la constitution de sa propre armée nationale[6]

Néanmoins, cette conception « unioniste », défendue par la Russie et soutenue par les républiques centre-asiatiques de l’ancienne Union soviétique[7], était en opposition avec la volonté d’indépendance militaire de l’Ukraine, leader des volontés nationalistes au sein de la CEI. Ainsi, dès décembre 1991, Kiev avait exprimé sa volonté de constituer une armée nationale, notamment en partageant les navires et infrastructures de la Flotte soviétique de la mer Noire. 

Finalement, l’avenir de l’armée ex-soviétique fut débattu le 14 février 1992[8]. Les débats débutèrent sous les pires auspices pour les tenants d’une conception « unioniste ». L’Ukraine annonça rapidement qu’une armée nationale ukrainienne avait été partiellement constituée dès le 24 août 1991[9], jour de la proclamation de son indépendance transitoire[10]. A la suite de quoi, la Moldavie, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie déclarèrent qu’ils poursuivront la constitution de forces armées nationales[11]. Dès lors, il devint impossible de poursuivre la formation « d’armées unifiées placées sous l’égide d’un Haut Commandement de la CEI[12] » malgré la mise en place d’un commandement unifié transitoire, et donc temporaire (jusqu’au 15 juin 1993[13]). 

Emblème des Forces armées russes. Source : Wikipedia.
C’est ainsi qu’implosa l’armée ex-soviétique en armées nationales post-soviétiques au gré des décrets des présidents des Républiques de placer les troupes ex-soviétiques présentes sur le sol sous leur autorité. Dans un tel contexte, n’étant plus soutenu que par les républiques centre-asiatiques[14], le président russe Boris Eltsine se résolut à la situation, institua un ministère de la Défense le 16 mars 1992 et se décida le 7 mai à promulguer un décret plaçant toutes les troupes ex-soviétiques présentes sur le territoire russe sous le commandement du nouveau ministère de la Défense[15]. Les Forces armées de la Fédération de Russie ont vu le jour. 

La CEI comme vecteur de la puissance militaire russe en ex-URSS

Dès le 15 mai, à défaut de maintenir un commandement unifié sur les armées ex-soviétiques, la Russie parvint à promouvoir l’idée d’une défense et d’une sécurité commune au sein de la CEI à l’occasion du Traité de Tashkent (ou Traité de sécurité collective)[16] entre la Russie, les républiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan et Ouzbékistan) ainsi que l’Arménie, auxquels se joindront l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Biélorussie (1993). 

Poursuivant l’intégration régionale au sein de l’ancienne Union soviétique, le 22 janvier 1993, la Charte de la CEI fut achevée. Elle contenait plusieurs dispositions relevant du domaine militaire et sécuritaire. Ainsi, l’article 11 mentionne que « les États membres mènent « une politique concertée dans le domaine de la sécurité internationale, du désarmement et du contrôle des armements, de l’édification des Forces armées, et maintiennent la sécurité au sein de la Communauté, notamment à l’aide de groupes d’observateurs militaires et de forces collectives de maintien de la paix[17] ». Néanmoins, il ne fallut pas attendre la Charte pour voir le déploiement de forces de maintien de la Paix par la CEI. 
En effet, devant l’urgence du risque imminent de déstabilisation régionale, l’année 1992 avait déjà vu l’envoi de deux forces de maintien de la Paix de la CEI en Géorgie et en Moldavie. La JPKF fut déployée le 1° juillet pour apaiser le conflit sécessionniste opposant la Géorgie à l’Ossétie du Sud[18] tandis que la PKF fut, elle, déployée le 29 juillet afin d’apaiser un autre conflit sécessionniste opposant la Moldavie à la Transnistrie, majoritairement russe[19].

Moldavie et Transnistrie. Source : Wikipedia.
A partir de 1993, la Charte ayant déterminé un cadre légal pour ces opérations de Paix, deux autres forces de maintien de la Paix de la CEI seront encore envoyées. Une force collective a été déployée le 24 septembre dans le but de redresser le Tadjikistan, déstabilisé par des rebelles islamistes venant de l’Afghanistan voisin[20], alors que la CISPKF le sera le 14 mai 1994 pour remplacer les troupes russes d’interposition (déployées suite au cessez-le-feu de juillet 1993) et apaiser le conflit sécessionniste opposant l’Abkhazie à la Géorgie[21]

Ces forces de maintien de la Paix de la CEI se trouvaient de facto sous le contrôle russe, le commandement militaire et une composante importante des effectifs et du matériel étant russes. De la sorte, la Russie trouva un moyen de maintenir son influence dans les domaines militaires et sécuritaires au sein de son « Étranger proche » malgré la disparition de l’Union soviétique. 

Conclusion

A l’aube de l’année 1994, alors qu’elle est en pleine politique d’ouverture et de rapprochement avec l’Occident, la Russie arrivait progressivement au terme du rapatriement de ses forces stationnées en Europe centrale et orientale. Dès lors, la Russie ne maintint plus qu’une présence militaire minimale à l'étranger, notamment en Syrie, à Cuba et au Viêtnam. A l’opposé, Moscou sut maintenir une influence indéniable sur les questions militaires et sécuritaires au sein de l’ancienne Union soviétique. En effet, l’armée russe put notamment intervenir sous le couvert de mandat de la CEI en Géorgie (Abkhazie et Ossétie du Sud), en Moldavie (Transnistrie) et au Tadjikistan tout en conservant une présence militaire à travers l’ensemble de la région. Il est également intéressant de constater que les tensions s'exacerbent de manière dangereuse entre Moscou et la Tchétchénie, en sécession ouverte depuis 1991-1992, suite au refus de ratifier le traité constitutif de la Fédération de Russie[22] [23].

En outre, si l’armée russe reste puissante à travers les pays membres de la CEI, elle dispose, comme pour l’ancienne armée soviétique, d’un réel pouvoir dans le système politique de la Fédération de Russie. Alors que l’armée soviétique était déjà intervenue en août 1991 en faveur du Président russe Boris Eltsine face aux putsch manqué des éléments les plus conservateurs du Parti communiste de l’Union soviétique, son héritière directe – l’armée russe - s’impliqua « à nouveau » dans les affaires intérieures de la Russie lors de la crise politique et constitutionnelle de 1993 qui opposa le président russe au Soviet Suprême de Russie (Parlement russe)[24]. Le système politique russe fut alors éliminé de ses derniers éléments communistes. 

Notes et références en bas de page :
[1] « 3-30 Décembre 1991 URSS », Universalis, [en ligne], s.d., [http://www.universalis.fr/evenement/3-30-decembre-1991-disparition-de-l-et-demission-de-mikhail-gorbatchev-apres-la-creation-de-la-c-e-i/], (consulté le 19/02/2017). 
[2] YAKEMTCHOUK Romain, « La Communauté des États indépendants : CEI », Annuaire français de droit international, 1995, vol.41, n°1, p248. 
[3] MONGRENIER Jean-Sylvestre. Stratégie et géopolitiques russes des hydrocarbures : Un défi pour l’Europe, Louvain-la-Neuve : Presses Universitaires de Louvain, 2013, p83. 
[4] Ibidem. 
[5] YAKEMTCHOUK Romain, op.cit., p248. 
[6] Idem, p253. 
[7] Id., pp253-254. 
[8] Id., p253. 
[9] Ibidem. 
[10] Proclamation d’indépendance confirmée par référendum le 1°décembre et entrée en vigueur le 5 décembre. 
[11] YAKEMTCHOUK Romain, op.cit., p253. 
[12] Ibid. 
[13] Idem, p254. 
[14] Ibidem. 
[15] Idem, p253. 
[16] QORABOYEV Ikboljon, « Fiche d’information de l’organisation : OTSC », Réseau de recherche sur les opérations de paix, [en ligne], 2010, [http://www.operationspaix.net/13-fiche-d-information-de-l-organisation-otsc.html], (consulté le 08/04/17). 
[17] Id., p255. 
[18] « JPKF », Réseau de recherche sur les opérations de paix, [en ligne], s.d., [http://www.operationspaix.net/69-operation-jpkf.html], (consulté le 05/03/17). 
[19] « PKF », Réseau de recherche sur les opérations de paix, [en ligne], s.d., [http://www.operationspaix.net/136-operation-pkf.html], (consulté le 05/03/17). 
[20] « Force collective de maintien de la paix de la CEI au Tadjikistan (1993-2000) », Réseau de recherche sur les opérations de paix, [en ligne], s.d., [http://www.operationspaix.net/43-operation-force-collective-de-maintien-de-la-paix-de-la-cei-au-tadjikistan-1993-2000-.html], (consulté le 05/03/17). 
[21] « CISPKF », Réseau de recherche sur les opérations de paix, [en ligne], s.d., [http://www.operationspaix.net/15-operation-cispkf.html], (consulté le 05/03/17). 
[22] KHERAD Rahim, « L'ONU face aux conflits du Timor-Oriental et de la Tchétchénie », in Madjid Benchikh (dir.), Les Organisations Internationales et les conflits armés, Paris : L'Harmattan, 2001, p. 240. 
[23] « Le traité fédéral russe de 1992 », Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale, [en ligne],1994, [http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-2060.html], (consulté le 08/04/17). 
[24] « La Russie de Boris Eltsine », Radio Canada, [en ligne], s.d., [https://ici.radio-canada.ca/nouvelles/dossiers/tetes/eltsine/07.html], (consulté le 08/04/17).

dimanche 2 avril 2017

Guerre du Donbass - Analyse stratégique

(rédigé par Arno Zaglia, corrigé par Olivier Lancelot)

Le 6 avril 2017 marquera le troisième anniversaire du début de la guerre du Donbass, conflit qui vient de faire 10 mille morts et 1,5 millions de déplacés dans la population civile. Malgré tout, l’entrée en vigueur des Accords de Minsk (2015) et la guerre contre l’État islamique semblent avoir totalement détourné l’attention de l’opinion publique alors que sa proximité géographique et son intensité devraient attirer davantage notre attention. Une occasion de réaliser une étude stratégique plus longue que d'habitude afin d'aborder les différentes facettes de la crise. Ainsi, cet article a donc pour objectif d'identifier les causes et les circonstances de cette guerre, les acteurs impliqués, les enjeux stratégiques, opérationnels et tactiques, le type de guerre et l'identification des « centres de gravité ».

Une société profondément divisée

L'éclatement de la guerre du Donbass est la conséquence de différents clivages qui ont divisé l'Ukraine entre un Ouest et un (Sud-)Est, les deux étant grosso modo séparés par le fleuve Dniepr. Ces clivages étant incontournables, on constate que l'Ouest de l'Ukraine est ukrainophone alors que l'Est est russophone (clivage ethno-linguistique) ; l'Ouest est plutôt rural tandis que l'Est est fortement industrialisé ; enfin, l'Ouest est europhile et pro-européen tandis que l'Est est russophile et pro-russe. Cette situation se concrétisa par des tensions croissantes entre les deux Ukraines et, donc, entre les autorités ukrainiennes et les populations russophones (« rattachement » de la Crimée à la Russie, sécessions du Donbass, troubles dans le (Sud-)Est russophone, etc.).

Par rapport à ces clivages, on pourrait ajouter un clivage plus idéologico-administratif qui voit s'opposer le centralisme nationaliste ouest-ukrainien et le régionalisme autonomiste est-ukrainien, d'un côté, et les modèles de conceptions européenne et russe de la démocratie, d'un autre côté. Dans ce cadre, la rotation des différents gouvernements (une fois pro-russe, une autre fois pro-européen) ont nourri au sein de chaque groupe ethno-linguistique un sentiment d’être dominé par l’autre groupe. C'est ainsi que la Révolution de février 2014 a été perçue par les russophones comme un Coup d’Etat des Ouest-Ukrainiens.

En outre, sur le plan géopolitique, le régionalisme autonomiste est-ukrainien, concrétisation du sentiment des russophones d'être oppressé et menacé, est doublé par un irrédentisme russe. comme mentionné dans un précédent article d'Olivier Lancelot sur la géopolitique russe, la géopolitique du Kremlin étant caractérisée par son sentiment d'insécurité, la Russie a mis en place différentes mesures en vue de soutenir les minorités russes et russophones du Sud-Est ukrainien face à un gouvernement nationaliste russophobe.

Mais cette division en deux Ukraines n'est pas récente et s'ancre dans une Histoire parfois douloureuse. Ainsi, jusqu'en 1939-1945, le centre, le Sud et l'Est de l'actuelle Ukraine étaient sous le contrôle de l'Empire russe, puis de l'Union soviétique tandis que l'Ouest (principalement la Volhynie et la Galicie) appartenait à l'Autriche-Hongrie, puis à la Pologne. Cette situation avait donc engendré une évolution différentiée au sein même de l'Ukraine entre un Ouest ayant évolué dans un milieu occidentalisé (Europe, démocratie et libéralisme) et un Est ayant évolué dans un milieu internationaliste (Russie, totalitarisme et communisme).

Les acteurs engagés

Ainsi, les combats teintés d’une extrême violence reflètent de réelles fractures entre l’Ouest et l’Est. Pour les habitants du Donbass, l’Ouest de l’Ukraine est le terreau du néonazisme[1] et de l’élite libérale responsable de son déclin économique alors que pour les loyalistes (partisans de Kiev), le Donbass est considérée comme une région arriérée, à la culture mafieuse et comme un réservoir de nostalgiques de l’ère soviétique[2]. Dans ce contexte, les acteurs engagés sont divers.

Du côté des loyalistes, il faut identifier les militaires sous l’autorité du ministère de la Défense (incluant l’armée de terre, la marine, les troupes aéroportés et l’armé de l’air) tandis que la Garde nationale ukrainienne, les forces de police, les régiments Azov et Donbas sont sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. De plus, il existe encore les bataillons de volontaires qui évoluent en toute autonomie (comme Pravy Sektor, l’Organisation des nationalistes ukrainiens ainsi que les bataillons étrangers[3]). Diplomatiquement, l'Ukraine est soutenue par l’Union européenne, les États-Unis, le Canada et l’OTAN. Si aucune troupe occidentale n’est impliquée dans le conflit, le Canada et les États-Unis fournissent à Kiev du matériel non-létal (gilets pare-balles, drones, vêtements, véhicules) ainsi que des conseillers militaires.

A l'opposé, du côté des insurgés pro-russes, on retrouve la République populaire de Donetsk (DNR) et de la République populaire de Lougansk (LNR), dont les forces sont composées de miliciens, de professionnels et de volontaires étrangers. Pour ces derniers combattants, la lutte contre le néonazisme ukrainien et les valeurs occidentales est la principale motivation à rejoindre les rangs des séparatistes. Au cours du conflit, l'organisation militaire des forces de la Nouvelle-Russie a évolué passant de combattants faiblement équipés et entraînés à de véritables militaires professionnels. De plus, parallèlement aux forces susmentionnées, des acteurs privés sont engagés dans à leurs côtés, à l'instar des associations et partis politiques russes ou ukrainiens (comme les mouvements eurasistes, par exemple) qui fournissent une couverture politique et médiatique.

Le conflit est une guerre hybride, c’est-à-dire que guerre conventionnelle et guerre asymétrique sont combinées. La guerre conventionnelle avec ses tanks, ses canons, ses régiments qui livrent bataille et la guerre asymétrique avec ses cyberattaques, sa propagande à grande échelle et le contournement du droit international. L’opération « anti-terroriste » de Kiev a déployé de 30.000 hommes (au début du conflit) jusqu'à 60.000 sur les 200.000 hommes dont disposent les forces armées de l'Ukraine pour faire face aux 40.000 combattants  présents dans le Donbass. Par la suite, après les rudes combats entre avril 2014 et janvier 2015, près de 100 mille Ukrainiens, loyalistes et séparatistes confondus, doivent prendre le temps de consolider leurs positions, de se reconstruire, de se réorganiser et de chercher la faille chez l’ennemi. L’Ukraine essaye désormais de faire table rase de son offensive ratée de 2014, conséquence d’un matériel hérité de l’Union soviétique et de l’incompétence des officiers et des politiques (infra)[4].

Enjeux stratégiques, opérationnels et tactiques

Enjeux stratégiques

Le conflit dans le Donbass se divise en trois niveaux : un niveau stratégique, un niveau opérationnel et un niveau tactique. Ainsi, pour Kiev, l'objectif principal de la reconquête de la région est d'ordre économique. En effet, la sécession du Donbass peut handicaper le développement économique de l'Ukraine, déjà pénalisée par la perte de la Crimée. En effet, le Donbass (et plus, globalement, le (Sud-)Est de l'Ukraine) est un pôle économique et industriel incontournable avec ses industries lourdes (sidérurgie, métallurgie, etc.) et ses mines de charbon notamment, dont la perte menace l'équilibre financier de l'Etat ukrainien. De plus, le Donbass est également un objectif politique important : reprendre la région permettrait à l'Ukraine d'affirmer son indépendance par rapport à la Russie, de sortir de la sphère d'influence russe et d'entamer les processus d'adhésion aux institutions occidentales, OTAN et Union européenne en tête.

A l'opposé, pour le Donbass, l’objectif principal est de chasser les troupes loyalistes hors des limites administratives du Donbass (à commencer par les Oblasts de Donetsk et de Lougansk) et d'aspirer à devenir soit un État indépendant, soit une entité autonome au sein d'une Ukraine régionalisée. Donetsk et Lougansk cherchent à tout prix à conserver la contiguïté géographique avec les frontières russes en vue de garder les les contacts avec la Russie, lien territorial vital pour leur survie. 

Principal soutien du Donbass, pour la Russie, l'objectif principal est de déstabiliser l'Ukraine de sorte que le pays ne puisse plus quitter l'orbite, l'influence russe par manque d'attractivité pour une éventuelle adhésion à l'OTAN et l'Union européenne. Pour rappel, l’Ukraine est un « pivot géostratégique » et son contrôle par l’OTAN fragiliserait la position de la Russie[5]. Dans la même logique, Vladimir Poutine désire restaurer l’autorité de la Russie dans sa sphère d’influence traditionnelle et convoite le Rimland européen, instable. Scénario extrême : la Russie peut espérer que la victoire militaire et politique de ses alliés conduira à un démantèlement de l’Ukraine. L’Ouest pro-occidental, le Sud et l’Est pro-russe. L’Ukraine est également un pays ethniquement hétérogène dont la victoire des séparatistes pourrait galvaniser l’autonomisme ou le séparatisme dans certaines régions[6].

A l'opposé, principaux soutiens de Kiev, pour l’OTAN et l’Union européenne, l’objectif est davantage de protéger son flanc oriental contre une Russie perçue comme une puissance révisionniste aux aspirations néo-impérialistes. En revanche, les États européens sont divisés concernant la position vis-à-vis de la Russie. Des pays comme la Pologne, la Suède ou les Etats baltes veulent des sanctions fermes tandis que la Hongrie, la Slovaquie et la Grèce cherchaient à assouplir les sanctions.

Enjeux opérationnels

Concernant le niveau opérationnel, il faut retenir deux théâtres d’opérations : le théâtre ukrainien et le théâtre international. Ainsi, le premier objectif des insurgés pro-russes est de chercher à infliger des pertes aux Ukrainiens de sorte de changer le cours de la guerre en accumulant des succès tactiques. Le second est d’agir sur la volonté et la cohésion entre les loyalistes ukrainiens et les Occidentaux. Pour cela, l’arme la plus efficace est le doute, la désinformation et le dénigrement de l’adversaire[7]. Même si les séparatistes ne gagnent rien sur le front est-ukrainien, gagner le théâtre international sera décisif dans la poursuite de la guerre. Après la révolution de février 2014, le Kremlin a organisé une campagne médiatique et informatique agressive mais efficace contre le nouveau gouvernement ukrainien et les institutions occidentales.

De son côté, Kiev lutte aussi bien sur le théâtre ukrainien que sur le théâtre international en cherchant à contrecarrer la propagande pro-russe. Le site « StopFake » a été fondé en plusieurs langues en tant que « debunker ». Son objectif est d’exposer et de discréditer les fausses informations du Kremlin et de ses sympathisants. Sur le théâtre ukrainien, Marioupol est un objectif capital pour les deux belligérants car si la ville tombait, les pro-russes pourraient créer un pont maritime (si pas terrestre) avec la Crimée. Une telle victoire du Donbass aurait un impact psychologique négatif sur l’opinion publique ukrainienne et pourrait raviver à nouveau le séparatisme dans les autres régions russophones[8] (Kharkov, Odessa, etc.).

Enjeux tactiques

D’un point de vue tactique, nous observons une nouvelle guerre de tranchées. Cela se résume souvent à des escarmouches pour contrôler des postions tactiquement avantageuses. Des patrouilles s’accrochent dans des zones contestées. Ce sont souvent des échanges de tirs d’armes automatiques, de roquettes ou de grenades. Pour Kiev, la tactique actuelle des séparatistes ressemble à celle du Hamas, c’est-à-dire provoquer son adversaire et espérer que sa riposte violente entraîne des pertes civiles et poussent les habitants à rejoindre leurs rangs. Tirer sur des zones civiles risque de rendre la population hostile, ce qui ne facilitera pas la progression des loyalistes. 

L’inventaire des combattants russophones et des troupes ukrainiennes provient de la période soviétique, un matériel obsolète et généralement peu efficace. Des véhicules dernier cri ont été déployés par l’Ukraine dont certains ont été capturés par les séparatistes. 

En plus des tactiques militaires, il existe des tactiques informatiques auxquelles pro-russes et Ukrainiens se livrent une lutte pour gagner un maximum de soutien dans le monde. Créations de (faux) profils pro-russes perturbant les forums, vidéos de propagande, invention de fausses informations, présentation de faits alternatifs, détournement des faits, rapports d’experts, etc. 

Avant les Accords de Minsk, loyalistes et séparatistes avaient recours à des tactiques conventionnelles comme la coupure des voies de communication, les embuscades et les encerclements. La guerre aurait pu tourner court pour les séparatistes mais ils ont réussi à attaquer les loyalistes au moment où le point culminant de l’assaut avait été atteint. En effet, le relâchement des troupes qui voyaient une victoire certaine et l’étalement de leur lignes de communication leur ont été fatal. Saisis par la surprise, ils furent débordés et coupés du reste de leurs unités.

Cet échec s’explique également par l’absence de commandement centralisé pour leurs 50.000 hommes alors que les combattants russophones avaient établis un commandement centralisé pour leurs 15.000 combattants. Résultat : des centaines d’hommes ont été mis hors de combat et la matériel lourd détruit ou capturé par les combattants russophones. Pire encore, Marioupol était à deux doigts d’être investie par les séparatistes. Cette contre-offensive aurait été appuyée par plus d’une centaine de blindés et un millier d’homme en provenance de Russie. Parmi eux, des troupes de la 76° Division aéroportée, une unité d’élite basée à Pskov.

En résumé, la stratégie ukrainienne de 2014 a été déstabilisée par la disproportions des moyens qui l’a rendu inefficace. Les cause sont multiples : la récession économique, l'insuffisance des infrastructures, la désuétude de l'arsenal militaire, la corruption généralisée dans les niveaux politiques et militaires et, enfin, une organisation confuse[9]. Face à ce déséquilibre, l’Ukraine a le choix : adapter les moyens disponibles aux fins politiques ou bien d’adapter les fins politiques aux moyens disponibles. 

Une approche indirecte réussie : l’annexion de la Crimée

Lors des événements de février 2014, en Crimée, le président russe a réussi à exécuter une approche indirecte. En effet, Vladimir Poutine et l’état-major russe ont su profiter du désordre post-révolutionnaire à Kiev, des manœuvres militaires russes prévues depuis des mois et de l’hostilité des russophones à l’Euromaïdan pour annexer/récupérer la Crimée. Grâce à la coupure des communications et à un efficace travail de renseignement, les Russes sont parvenus à prendre le contrôle des bâtiments officiels, des bases militaires et des navires de guerre ukrainiens en quelques heures seulement.

Par conséquent, la Russie a non seulement pu préserver sa puissance en mer Noire mais a également réussi à capturé le matériel militaire présent en Crimée [10] sans effusion de sang. Parallèlement à l’annexion de Crimée et à la guerre du Donbass, Moscou a mobilisé d'importants moyens pour la guerre psychologique (supra) et diplomatique[11] pour immobiliser toute initiative des Occidentaux. Sun Tzu n’aurait pas demandé mieux...

Centre(s) de gravité

Le centre de gravité est la source de force morale et physique, de puissance et de résistance. Il peut s’agir du soutien populaire et de la puissance militaire[12]. Le détruire enlèverait à l’adversaire toute envie de poursuivre la guerre.

Ainsi, si l’Ukraine veut gagner la guerre, il est évident qu’elle devra désolidariser les séparatistes de Moscou soit en contrôlant les frontières terrestres, soit en jouant sur la diplomatie pour troubler les rapports entre les Russes et les séparatistes[13]. La première option a échoué pendant les offensives de 2014. Il est clair que sans le soutien russe, les insurgés auraient été obligés de déposer les armes faute d’équipement et d’entraînement suffisant. Clausewitz avait identifié l’allié de l’adversaire comme un centre de gravité[14]. 

Concernant la puissance militaire, Donetsk et Lougansk sont respectivement les capitales de la DNR et de la LNR. Elles fournissent le gros des troupes, elles sont des centres politiques et administratifs. De plus, Donetsk est également un pôle économique important, la priver de ses mines de charbon et de ses haut-fourneaux la saignerait à blanc mais Kiev risquerait aussi de payer cher sa reconstruction dès qu’elle reviendra sous son contrôle. En 2014, les Ukrainiens avait bien tenté d’encercler Donetsk et Lougansk afin d’immobiliser les milices pro-russes. Ils avaient une nouvelle fois échoué. 

Porter la guerre à la population est aussi une option. La course à la mer du Général Sherman en 1864 et la Guerre de Tchétchénie en sont des exemples, surtout que ce sont des guerres civiles. Faire la guerre à la population peut être contre-productif[15]. La population est un facteur crucial, surtout si elle appartient au même pays, l’attaquer sans aucune retenue peut la rendre hostile. Gagner le soutien de la population est un plan à envisager mais le sentiment anti-ukrainien et l’ambiance martiale en son sein ne faciliteront pas la tâche de Kiev.

Enfin, neutraliser les centres de commandements et ses sources de troupes pourrait aussi briser toute envie de continuer. Loin derrière la guerre des taupes, des commandants pro-russes ont mystérieusement été assassinés. Les séparatistes ont imputé la responsabilité à Kiev mais ce dernier a affirmé que la DNR et la LNR étaient en proie à des luttes internes, voire à une purge sur l'ordre du Kremlin lui-même. Si l’Ukraine était vraiment responsable de la mort d’Arsen « Motorola » Pavlov et de Mikhaïl « Guivi » Tolstykh[16], cela serait normal et propre à toutes les guerres. Faute de remplaçants aussi compétents que charismatiques, l’ennemi pourrait être démoralisé et désordonné. 

A l’Est, rien de nouveau

Les clivages au sein de la société ukrainienne et les convoitises étrangères ont fertilisé les tensions qui ont conduit à la guerre. La Révolution de février 2014 a été l’étincelle qui a enflammé l’Ukraine. Le manque d’organisation, le manque de moyens de l’armée ukrainienne, l’instabilité politique et économique du pays et l’entrée non-officielle de la Russie dans le conflit ont compromis l’opération militaire. La survie de l’intégrité territoriale et de l’indépendance des principaux belligérants dépendent du soutien militaire et diplomatique de la Russie et des Occidentaux. Concernant l’Ukraine, son existence est menacée aussi bien au niveau extérieur (perte d’alliés, encerclement russe) qu’au niveau intérieur (corruption, instabilité politique, crise économique, régionalisme et séparatisme). Mener une guerre d’usure lui sera très coûteuse vu ses moyens limités et les ressources à trouver.

A l'opposé, pour l'heure, la Russie n’est pas officiellement engagée dans le conflit. Néanmoins, si tel avait été le cas, sa stratégie de guerre hybride est à prendre très au sérieux car elle est comparable à celle que l’État islamique emploie en Syrie et en Irak. De plus, elle pourrait même récidiver là où il y a une minorité russe importante. Les Pays baltes, la Biélorussie et le Kazakhstan pourraient (hypothétiquement) être les prochaines victimes de l'irrédentisme russe en cas d’insurrection pro-russe. Cette stratégie est dangereuse car elle est flexible et légalement ambiguë. Malheureusement, la presse et l’opinion publique est plus intéressée par les actions héroïques et spectaculaires contre des islamistes que par une bande de taupes terrés dans des tranchées. La situation est trop calme pour pouvoir s’y intéresser. C’est la loi de l’information : pas de nouveauté, pas d’intérêt...

Notes et références en bas de page :
[1] C’est dans les oblast de Ternopil et Lviv que le parti Svoboda a enregistré ses meilleurs scores électoraux.
[2] La région fut négativement décrite en 2005 par Viktor Tkachenko, éditorialiste du journal Narodne slovo.
[3] Parmi eux des Tchétchènes, des Géorgiens, des Croates, des Polonais, des Américains et des Albanais.
[4] L’armée ukrainienne manquait de gilets pare-balle, de casques, d’armes lourdes. Par ailleurs, elle a connu des problème de communication entre les officiers de carrière dépendant du ministère de la Défense et les chefs de bataillons de volontaires, sous autorité du ministère de l’Intérieur.
[5] Voir « Le grand échiquier » de Zbigniew Brzezinski.
[6] Parmi les région à risque : la Transcarpathie (Hongrois), la Bucovine (Roumains et Moldaves), l’Oblast d’Odessa (Bulgares, russophones, Roumains et Albanais).
[7] Euromaïdan serait perçue comme un coup d’état fasciste et un complot américain en vue.
[8] Après l’indépendance de la Crimée et les émeutes dans le Donbass, Kharkiv et Odessa étaient en proie à des revendication sécessionnistes. Ces mouvements ont été déjouées et peu suivies.
[9] Les bataillons déployés appartenaient à différents ministères ou services autonomes. Il n’y a eu aucune centralisation et aucune clarté tactique.
[10] Une cinquantaine de navires ukrainiens et un sous-marin. Un accord a été trouvé pour rendre une partie des navires.
[11] Création de sites d’informations alternatives, développement des capacités offensives comme moyen de dissuasion.
[12] A travers la qualité de ses chefs, de ses forces armées elles-mêmes et des centres économiques et industriels produisant le matériel de guerre.
[13] Voir Sun Tzu.
[14] Si cet allié est plus puissant que lui.
[15] La bataille de Grozny de 1994-1995 a entraîné des pertes lourdes chez les civils. Cela a renforcé le sentiment anti-russe et conduit des civils à rejoindre les moudjahidines.
[16] Ces commandants se sont illustrés dans la bataille de l’aéroport de Donetsk et d’Ilovaïsk. Ils incarnent donc les symboles de la déroute ukrainienne. Pavlov a été accusé d’avoir exécuté des prisonniers de guerre.

Bibliographie

COUTAU-BEGARIE Hervé, Traité de stratégie, Economica, Paris, 1999.
DESPORTES Vincent, Comprendre la guerre. Deuxième édition, Coll. « Stratégies et Doctrines », Economica, 2001.
EUROMAIDAN PRESS, Russian Forces using Hamas-Style Terrorist Tactics in Ukraine, Portnikov Says,Euromaidan press, http://euromaidanpress.com/2017/02/07/russian-forces-using-hamas-style-terrorist-tactics-in-ukraine-portnikov-says/, consultée le 17 mars 2017.
MARPLES David, The Ukrainian Army is Unprepared for War, Current Politics in Ukraine, https://ukraineanalysis.wordpress.com/2014/08/06/the-ukrainian-army-is-unprepared-for-war/, 6 août 2014, consultée le 24 mars 2017.
Ukrainian army command orders OUN volunteer battalion to leave Pisky, Donetsk region, KyivPost,https://web.archive.org/web/20150411171905/http://www.kyivpost.com/content/ukraine/ukrainian-army-command-orders-oun-volunteer-battalion-to-leave-pisky-donetsk-region-385919.html, publiée le10 avril 2015, consultée le 27 mars 2017.
REKAWEK Kacper, Neither « NATO’s Foreign Legion » Nor the « Donbass International Brigades »:(Where Are All the) Foreign Fighters in Ukraine ? PISM, n°6 (108), 30 mars 2015.
Pro-Russian rebels have 40,000-strong army, sufficient for 'mid-sized European state': Ukraine defence minister, ABC AU. , http://www.abc.net.au/news/2015-06-09/ukrainian-rebels-have-army-the-size-of-small-european-state/65308288,8 juin 2015,consultée le 27 mars 2017. 
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SAKWA Richard, Frontline Ukraine. Crisis in the Borderland, I.B. Tauris, 2015.
SCHMIDTKE Oliver, Europe’s Last Frontier ?, Palgrave Macmillan, New-York, 2008. 
TALLES Olivier, La Grande Misère de l’armée ukrainienne, La Croix, http://www.la-croix.com/Actualite/Europe/La-grande-misere-de-l-armee-ukrainienne-2014-09-01-1199424, publiée le 1er septembre 2014, consultée le 17 mars 2017.
TZU Sun, préface de GRIFFITH B. Samuel ; avant-propos de LIDDELL HART Kathleen, L’art de la Guerre, Coll. « Textes politiques », Flammarion, Paris, 1972.
YAKOVLEFF Miche, Tactique théorique. Troisième édition, Coll. « Stratégies et Doctrines », Economica, 2016.

dimanche 26 février 2017

L’Islam en Pologne

(rédigé par Arno Zaglia)

Pendant la nuit du Nouvel an, le meurtre d’un Polonais par un commerçant d’origine musulmane a débouché sur des violences xénophobes dans la ville d’Elk. Quatre restaurants de kebab ont été vandalisés dans cette ville touristique du Nord-est. De nombreux Polonais perçoivent la présence des musulmans comme une danger à leurs traditions et à l’existence même de la Pologne. Pourtant, l’Islam en Pologne ne se limite pas à quelques convertis et immigrés. Comme pour de nombreux citoyens européens, les Polonais n’en savent rien ou très peu sur l’Islam.

Une présence vieille de plus de 600 ans

La présence de l’Islam en Pologne est attestée dès la fin du XIV° siècle avec les cavaliers de la Horde d’Or qui se sont installés en Lituanie. La première communauté musulmane était celle des Tatars lipkas ou baltiques. Si au début les premiers contacts étaient hostiles, les Lipkas ont fini par intégrer la société polonaise et lituanienne.

En effet, en récompense à leurs services dans l’armée, le Grand-Duc Witold[1] leur offrit ses terres lituaniennes au XIV° siècle. Les Tatars jouèrent aussi un rôle militaire important dans les armée lituaniennes et polonaises. Les Tatars contribuèrent à la défaite de l’ordre Teutonique à Grunwald en 1410[2]. Au niveau local, les Tatars lipkas jouissaient d’une autonomie culturelle et religieuse de telle sorte que chaque village élisait son propre mollah.

Entre 40.000 et 100.000 musulmans peuplaient la République des Deux-Nations (réunissant la Pologne et la Lituanie) à son apogée. Parmi ceux-ci se trouvaient non seulement les Tatars lipkas mais aussi des Tatars de Crimée et des membres de la Horde de Nogaï. Malgré l’opposition de la bourgeoisie, les rébellions et le sentiment anti-ottoman, le statut juridique des musulmans de Pologne s’est normalisé dès le XVI° siècle. Les civils et les militaires musulmans avaient le droit de posséder des terres et beaucoup ont intégré les villes travailler dans l’artisanat et les cours des Magnats[3].

La Constitution du 3 mai 1791 accorda finalement aux Tatars les pleins droits. Comme pour les Juifs, la liberté religieuse et l’égalité des musulmans devant la loi a progressivement été octroyée. La présence musulmane s'accrut après sa partition, la Pologne russe ayant accueilli d’autres populations musulmanes originaires d’Asie centrale et du Caucase.

Reconnaissance et déracinement

Au XIX° siècle, une trentaine de mosquées était répertoriée en Pologne. La Première Guerre mondiale et les déportations décimèrent les Musulmans de Pologne et seulement 5.500 Tatars étaient regroupés sur 18 communes. Ils militèrent pour que l’État les reconnaisse et en 1925, leur revendication est entendue : chaque commune aura un congrès de représentants.

Jakub Szynkiewicz est élu mufti et l’Union des Musulmans voit le jour. La Diète reconnaît l’Union musulmane et l’Islam en 1936, donnant à l’Union le droit d’acquérir des droits fonciers, de jouir d’une indépendance. Les fondations religieuses étaient exemptées d’impôts et de certaines taxes, la culture tatare ainsi que leurs biens étaient protégés par l’État. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, 90% de leur terrain a été annexé par l’Union soviétique et environ 2.000 Tatars ont été déplacés ou déportés.

La transformation démocratique marqua une nouvelle vague d’arrivée musulmane. Le régime taliban en Afghanistan, les guerres de Bosnie et de Tchétchénie et les persécutions en Turquie et en Irak ont poussé de nombreux citoyens musulmans à vouloir se réfugier, étudier ou travailler en Europe. Si la Pologne demeure un pays de transit vers les pays occidentaux plus riches et plus stables, quelques Musulmans ont choisi d’y rester. Selon les autorités polonaises, entre 5 et 6.000 musulmans autochtones (Tatars et convertis) habitent la Pologne. Les immigrés inclus, le nombre approximatif se situerait entre 20.000 et 35.000.

Une minorité protégée mais menacée

La place de l’Islam et la législation qui le protège n’ont pas empêché l’islamophobie de gagner la société polonaise. Les Musulmans sont devenus les nouveaux boucs-émissaires des populistes et de quelques médias qui propagent de fausses informations[4]. Les Musulmans sont aujourd’hui devenus les victimes du contexte géopolitique et de la montée du populisme en Europe. Dans un récent sondage Ipsos, la population polonaise (et européenne) estime que le nombre de Musulmans vivant sur le territoire est supérieur au nombre réel. Ainsi, les Polonais sondés pensent que leur pays est peuplé de 7 % de Musulmans au lieu de 0,1 %.

Depuis son accession au pouvoir en 2015, le parti conservateur Droit et Justice (PiS) n’a pas hésité à utiliser une rhétorique nationaliste pour gagner les élections et gagner le soutien des Polonais effrayés par la crise migratoire, les inégalités et le terrorisme islamiste. Cette rhétorique construite sur la peur a contribué à développer un climat islamophobe au sein de la société polonaise tout comme l’antisémitisme, l’homophobie et le sexisme. Leur majorité absolue au parlement et le contrôle des médias leur a laissé le champ libre pour transmettre une image négative des Musulmans[5].

De nombreuses manifestations anti-musulmans et anti-réfugiés ont été organisées par des groupes extrémistes. Par ailleurs, des actes de vandalisme ont également (voir supra) été perpétrées contre des restaurants orientaux, des mosquées. Des agressions xénophobes sur des individus à cause de leur faciès ont été enregistrées. Si la minorité musulmane de Pologne est trop faible pour contrer seule les préjugés, elle semble avoir intégré la société civile qui est forte. Cette intégration pourrait être le seul moyen pour les Musulmans de Pologne de mieux résister à l’islamophobie et maintenir leur place dans la société.

Notes en bas de page : 
[1] Witold le Grand était le grand-duc de Lituanie de 1392 à 1430.
[2] La charge de la cavalerie légère tatare et lituanienne a servi d’appât pour attirer l’élite teutonique afin de l’encercler.
[3] De nombreux Tatars étaient employés dans la diplomatie et interprétariat.
[4] Les médias contrôlés par le gouvernement et les réseaux sociaux qui échappent au contrôle.
[5] Les Musulmans apporteraient le terrorisme, la criminalité et des maladies, selon Jaroslaw Kaczynski.

Bibliographie
Parzymies Anna, Islam en Pologne, http://tunis.msz.gov.pl/fr/cooperation_bilaterale/tunis_tn_a_161/tunis_tn_a_217/, consultée le 22 février 2017.
Jewish Virtual Library, European Muslim Population, http://www.jewishvirtuallibrary.org/european-muslim-population, consultée le 23 février 2017.
Enquête IPSOS, Perils of Perception 2016. A 40-country Study, http://perils.ipsos.com/slides/, consultée le 23 février 2017.
The Tatar Trail-Tatarska Jurta, http://www.kruszyniany.pl/szlak_eng.html, consultée le 22 février 2017.
BARAYKLI Enes, HAFEZ Farid, European Islamophobia Report, SETA, 2015, https://www.opendemocracy.net/can-europe-make-it/kasia-narkowicz-konrad-pedziwiatr/why-are-polish-people-so-wrong-about-muslims-in, consultée le 22 février 2017.

dimanche 19 février 2017

[Updated] Histoire militaire de la Fédération de Russie (1° partie)

Les derniers jours de l’armée soviétique

(rédigé par Olivier Lancelot, mis à jour et republié le 11 mars 2017)

Introduction

Dans un article précédent qui abordait la géopolitique russe (disponible ici !), la conclusion mentionnait que la Fédération de Russie, dans sa quête de puissance, avait entrepris un vaste et ambitieux programme de modernisation de son appareil militaire. L’objectif de cette politique est de restaurer la parité technologique et stratégique entre la Russie et les États-Unis. Ainsi, ce programme de modernisation des Forces armées de Russie prend acte les nouveaux standards en termes de matériels et d’équipements militaires. Mais le programme s’inspire également des nouvelles doctrines adoptées par l’armée russe. Ces doctrines tirent leurs sources dans les nouveaux types de conflits auxquels pourraient faire face la Russie.

Héritière de l’Union soviétique, il s’agira donc de se concentrer d’abord sur l’Histoire militaire de la Russie post-soviétique. Ce premier article traitera de la première phase de l’Histoire militaire russe contemporaine, à savoir les derniers jours d’une armée soviétique qui de facto coïncidait alors avec une armée russe, encore inexistante. Cette courte période, riche en bouleversements géopolitiques, s’étendra de la proclamation de la souveraineté nationale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) (29 mai 1990) jusqu’à l’accord quadrilatéral concernant la mise en place d’un commandement militaire unifié, sous contrôle russe, sur l’ancien arsenal nucléaire soviétique (30 décembre 1991).

Une armée soviétique majoritairement russe

En 1990, malgré l’évacuation des troupes d’Afghanistan (1989) et le début du rapatriement des troupes stationnées en Europe centrale et orientale, l’armée soviétique restait puissante et assurait toujours la défense du territoire de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS). Il n’est alors pas encore question de doter ou non la RSFSR d’une armée propre, la Défense étant efficacement assurée par l’armée soviétique, dont le poids politique en Russie était important. En effet, « les principaux responsables politiques du pouvoir central, de l’armée et de certaines républiques [de l’Union soviétique] manifestent leur volonté de maintenir le principe d’une armée soviétique unique ou, à la rigueur, unifiée[1] ».

Soldat soviétique. Source : Wikipedia.
Mais la situation devint rapidement incontrôlable suite à l’échec d’un putsch à Moscou des éléments les plus conservateurs du Parti communiste de l’URSS (19-21 août 1991). Dès lors, l’événement ayant achevé de détruire la confiance des républiques soviétiques fédérées envers le Parti-État, le président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev n’eut plus aucun pouvoir[2] hors des murs du Kremlin[3], centre du pouvoir soviétique. Ne reconnaissant plus son autorité, l’armée soviétique, dernier organe fédéral fonctionnel, se confondit de plus en plus avec une armée russe, encore inexistante[4]. Concrètement, à l’occasion du putsch manqué, l’armée soviétique se rallia au président russe Boris Eltsine, dirigeant dont la légitimité faisait le moins de doute au sein de l’Union soviétique.

Forte de la légitimité démocratique de son président et de l’appui que l’armée soviétique apporte à ce dernier, la RSFS de Russie tenta de se poser en « seule et unique[5] » héritière de l’Union soviétique, alors en pleine implosion, notamment dans les domaines politiques, diplomatiques et militaires. Cette tentative ira même jusqu’à la volonté de faire coïncider une URSS réduite à la seule Russie soviétique, ne reconnaissant qu’une autonomie limitée aux autres républiques soviétiques qui formeraient son « nouveau » glacis protecteur.

Dans cette logique, la RSFSR tenta de conserver le contrôle de l’armée soviétique en usant des nombreux arguments en sa faveur, à commencer par le fait que les forces armées soviétiques restèrent principalement russes et nationalistes[6]. Ainsi, « le général Volkogonov [, conseiller du président russe Eltsine,] rappelle-t-il que les trois quarts du personnel de l’armée sont russes, que les principaux sites militaires sont situés sur le territoire de la Russie et que, de ce fait, la Russie a « le droit d’exiger un rôle dominant dans la mise en place des forces armées unifiées et de les influencer[7] »[8] ».

Confirmant ces propos, le colonel Lopatine dira également que « la Russie a un rôle dominant dans les questions de défense. […] Il suffit de dire qu’elle supporte les deux tiers des dépenses militaires, dispose de 80 % des entreprises du complexe militaro-industriel et est le principal fournisseur d’équipement et de ressources pour l’armée. […] L’une des raisons pour lesquelles il n’y a pas de comité [russe pour la défense et la sécurité] est que l’on pense que les intérêts de la Russie seraient représentés par le ministère de la Défense de l’URSS[9] ».

En outre, le général Volkogonov ajoutera même que « la création de forces armées proprement russes serait une erreur politique et économique[10] » du fait de la crainte légitime des autres républiques constitutives de l’URSS de voir la RSFS de Russie renouer avec les principes du panslavisme (qui n’ont jamais réellement disparu) s’érigeant en protecteur des anciennes républiques soviétiques[11].

Vers une armée ex-soviétique unifiée ?

Le maintien d’une future armée ex-soviétique unifiée ne rencontra guère d’enthousiasme si ce n’était auprès des républiques soviétiques d’Asie centrale. L’Ukraine, deuxième République socialiste soviétique (RSS) en importance, devint le moteur des sentiments autonomistes et nationalistes au sein d’une Union soviétique, qui vit désormais ces derniers jours.

Marine ukrainienne. Source : Mer et Marine. 
Dans ce contexte, suite au référendum sur l’indépendance de l’Ukraine du 1° décembre 1991, le président ukrainien Leonid Kravtchouk avait annoncé qu’il prévoyait la constitution d’une armée nationale, et non plus une simple garde nationale comme l’autorisait alors le centre soviétique. Ce discours remis une première fois en question l’idée du maintien d’une armée ex-soviétique unifiée, remettant en cause la suprématie politique incontestée de la Russie au sein l’espace post-soviétique[12] [13]. L’Ukraine devint définitivement indépendante le 5 décembre.

Parallèlement, les accords de Minsk (8 décembre) et d’Alma-Ata (21 décembre) ayant reconnu la disparition de facto de l’Union soviétique au profit d’une confédération d’États plus souple - la Communauté des États indépendants (CEI)[14] [15], celle-ci reçut la mission de s’occuper de la difficile question du devenir de l’armée ex-soviétique.

A droite, code de tir nucléaire. Source Wikipedia.
Reconnue comme l’État continuateur de l’Union soviétique par la communauté internationale (24 décembre)[16], la Russie conservait également son ambition d’être considérée comme la seule héritière de l’Union soviétique sur le plan militaire. C’est dans ce cadre que, le président soviétique démissionnaire Gorbatchev ayant remis le contrôle de l’arsenal nucléaire au président russe Eltsine le 25 décembre, un accord fut conclu le 30 décembre entre les quatre nouvelles puissances nucléaires (Russie, Biélorussie, Ukraine et Kazakhstan) pour instaurer un commandement unifié, sous contrôle russe, sur l’ensemble des forces stratégiques présentes sur le territoire de ces quatre pays[17].

Conclusion

Entre 1990 et 1992, l’armée soviétique vit ses derniers mois. Affaiblie par des années de guerre et des bouleversements (géo)politiques inattendus, elle venait de terminer l’évacuation de ses troupes d’Afghanistan et entamait le rapatriement de celles stationnées en Europe centrale et orientale. Malgré le déclin de l’armée soviétique sur le plan international, elle restait puissante et continuait à assure la défense et la sécurité de l’URSS, jouissant même d’un pouvoir politique important en RSFSR.

Néanmoins, après le putsch manqué d’août 1991, l’Union soviétique entama son irrésistible implosion. C’est à partir de ce moment que la RSFS de Russie commença à œuvrer pour le maintien de l’unité de l’ancienne armée soviétique. Ainsi, dès le 1° janvier 1992, l’Union soviétique ayant disparu, cette armée ex-soviétique, de facto sous contrôle russe, n’eut plus de statut officiel. Bientôt, elle finira par « imploser », formant les différentes armées nationales post-soviétiques.

Pour conclure, malgré cette « implosion » prochaine de l’armée ex-soviétique, la Russie continuera encore à tenter d’unifier le commandement des différentes armées des États membres de la CEI afin de maintenir son influence dans les secteurs militaires et sécuritaires au sein de l’espace post-soviétique. Ainsi, dans le prochain article, il s’agira de s’attarder sur la constitution de l’armée russe et son implication dans la priorité géopolitique donnée à l’ « Étranger proche » de la Fédération de Russie.

Notes et références en bas de page :
[1] ROMER Jean-Christiophe, « Une armée russe : quelle armée ? », Politique étrangère, vol.57, n°1, 1992, p63.
[2] VAN DRIESSCHE Véronique, Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS : De la Glasnost à la fin de la guerre froide, s.l. : 50 Minutes, 2015, p25.
[3] ROMER Jean-Christiophe, op.cit., p71.
[4] JOYAUX François, Encyclopédie de l’Europe : géographie, histoire, société, politique, économie, Paris : Seuil, 1993, p235.
[5] BALARD Michel, BERGER Françoise, FERRAGU Gilles, Le XX° siècle (1914-2001), s.l. : History, 2013, p288.
[6] ROMER Jean-Christiophe, op.cit., p69.
[7] Interview du général Volkogonov accordée à Soïouz, n°6, février 1991. « Au lendemain du putsch, Boris Eltsine a effectivement fait son entrée au Conseil de défense. » (Idem, p73.)
[8] Idem., p69.
[9] Id., p70.
[10] Id., p67.
[11] TIRASPOLSKY Anita, « Russie – [URSS] - Russie », Politique étrangère, vol.65, n°3, p763.
[12] ROMER Jean-Christiophe, op.cit., p69.
[13] Crise sur le partage des navires et des infrastructures dépendant de la Flotte soviétique de la Mer Noire.
[14] ROMER Jean-Christiophe, op.cit., p66.
[15] YAKEMTCHOUK Romain, La Communauté des États indépendants, Paris : Annuaire français de droit international, vol.41, n°1, 1995, pp245-280.
[16] HAMANT Hélène, Succession de l’URSS : recueil de documents, Bruxelles : De Boeck, 2010, 362p.
[17] « 3-30 Décembre 1991 URSS », Universalis, [en ligne], s.d., [http://www.universalis.fr/evenement/3-30-decembre-1991-disparition-de-l-et-demission-de-mikhail-gorbatchev-apres-la-creation-de-la-c-e-i/], (consulté le 19/02/2017).