dimanche 19 février 2017

[Updated] Histoire militaire de la Fédération de Russie (1° partie)

Les derniers jours de l’armée soviétique

(rédigé par Olivier Lancelot, mis à jour et republié le 11 mars 2017)

Introduction

Dans un article précédent qui abordait la géopolitique russe (disponible ici !), la conclusion mentionnait que la Fédération de Russie, dans sa quête de puissance, avait entrepris un vaste et ambitieux programme de modernisation de son appareil militaire. L’objectif de cette politique est de restaurer la parité technologique et stratégique entre la Russie et les États-Unis. Ainsi, ce programme de modernisation des Forces armées de Russie prend acte les nouveaux standards en termes de matériels et d’équipements militaires. Mais le programme s’inspire également des nouvelles doctrines adoptées par l’armée russe. Ces doctrines tirent leurs sources dans les nouveaux types de conflits auxquels pourraient faire face la Russie.

Héritière de l’Union soviétique, il s’agira donc de se concentrer d’abord sur l’Histoire militaire de la Russie post-soviétique. Ce premier article traitera de la première phase de l’Histoire militaire russe contemporaine, à savoir les derniers jours d’une armée soviétique qui de facto coïncidait alors avec une armée russe, encore inexistante. Cette courte période, riche en bouleversements géopolitiques, s’étendra de la proclamation de la souveraineté nationale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) (29 mai 1990) jusqu’à l’accord quadrilatéral concernant la mise en place d’un commandement militaire unifié, sous contrôle russe, sur l’ancien arsenal nucléaire soviétique (30 décembre 1991).

Une armée soviétique majoritairement russe

En 1990, malgré l’évacuation des troupes d’Afghanistan (1989) et le début du rapatriement des troupes stationnées en Europe centrale et orientale, l’armée soviétique restait puissante et assurait toujours la défense du territoire de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS). Il n’est alors pas encore question de doter ou non la RSFSR d’une armée propre, la Défense étant efficacement assurée par l’armée soviétique, dont le poids politique en Russie était important. En effet, « les principaux responsables politiques du pouvoir central, de l’armée et de certaines républiques [de l’Union soviétique] manifestent leur volonté de maintenir le principe d’une armée soviétique unique ou, à la rigueur, unifiée[1] ».

Soldat soviétique. Source : Wikipedia.
Mais la situation devint rapidement incontrôlable suite à l’échec d’un putsch à Moscou des éléments les plus conservateurs du Parti communiste de l’URSS (19-21 août 1991). Dès lors, l’événement ayant achevé de détruire la confiance des républiques soviétiques fédérées envers le Parti-État, le président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev n’eut plus aucun pouvoir[2] hors des murs du Kremlin[3], centre du pouvoir soviétique. Ne reconnaissant plus son autorité, l’armée soviétique, dernier organe fédéral fonctionnel, se confondit de plus en plus avec une armée russe, encore inexistante[4]. Concrètement, à l’occasion du putsch manqué, l’armée soviétique se rallia au président russe Boris Eltsine, dirigeant dont la légitimité faisait le moins de doute au sein de l’Union soviétique.

Forte de la légitimité démocratique de son président et de l’appui que l’armée soviétique apporte à ce dernier, la RSFS de Russie tenta de se poser en « seule et unique[5] » héritière de l’Union soviétique, alors en pleine implosion, notamment dans les domaines politiques, diplomatiques et militaires. Cette tentative ira même jusqu’à la volonté de faire coïncider une URSS réduite à la seule Russie soviétique, ne reconnaissant qu’une autonomie limitée aux autres républiques soviétiques qui formeraient son « nouveau » glacis protecteur.

Dans cette logique, la RSFSR tenta de conserver le contrôle de l’armée soviétique en usant des nombreux arguments en sa faveur, à commencer par le fait que les forces armées soviétiques restèrent principalement russes et nationalistes[6]. Ainsi, « le général Volkogonov [, conseiller du président russe Eltsine,] rappelle-t-il que les trois quarts du personnel de l’armée sont russes, que les principaux sites militaires sont situés sur le territoire de la Russie et que, de ce fait, la Russie a « le droit d’exiger un rôle dominant dans la mise en place des forces armées unifiées et de les influencer[7] »[8] ».

Confirmant ces propos, le colonel Lopatine dira également que « la Russie a un rôle dominant dans les questions de défense. […] Il suffit de dire qu’elle supporte les deux tiers des dépenses militaires, dispose de 80 % des entreprises du complexe militaro-industriel et est le principal fournisseur d’équipement et de ressources pour l’armée. […] L’une des raisons pour lesquelles il n’y a pas de comité [russe pour la défense et la sécurité] est que l’on pense que les intérêts de la Russie seraient représentés par le ministère de la Défense de l’URSS[9] ».

En outre, le général Volkogonov ajoutera même que « la création de forces armées proprement russes serait une erreur politique et économique[10] » du fait de la crainte légitime des autres républiques constitutives de l’URSS de voir la RSFS de Russie renouer avec les principes du panslavisme (qui n’ont jamais réellement disparu) s’érigeant en protecteur des anciennes républiques soviétiques[11].

Vers une armée ex-soviétique unifiée ?

Le maintien d’une future armée ex-soviétique unifiée ne rencontra guère d’enthousiasme si ce n’était auprès des républiques soviétiques d’Asie centrale. L’Ukraine, deuxième République socialiste soviétique (RSS) en importance, devint le moteur des sentiments autonomistes et nationalistes au sein d’une Union soviétique, qui vit désormais ces derniers jours.

Marine ukrainienne. Source : Mer et Marine. 
Dans ce contexte, suite au référendum sur l’indépendance de l’Ukraine du 1° décembre 1991, le président ukrainien Leonid Kravtchouk avait annoncé qu’il prévoyait la constitution d’une armée nationale, et non plus une simple garde nationale comme l’autorisait alors le centre soviétique. Ce discours remis une première fois en question l’idée du maintien d’une armée ex-soviétique unifiée, remettant en cause la suprématie politique incontestée de la Russie au sein l’espace post-soviétique[12] [13]. L’Ukraine devint définitivement indépendante le 5 décembre.

Parallèlement, les accords de Minsk (8 décembre) et d’Alma-Ata (21 décembre) ayant reconnu la disparition de facto de l’Union soviétique au profit d’une confédération d’États plus souple - la Communauté des États indépendants (CEI)[14] [15], celle-ci reçut la mission de s’occuper de la difficile question du devenir de l’armée ex-soviétique.

A droite, code de tir nucléaire. Source Wikipedia.
Reconnue comme l’État continuateur de l’Union soviétique par la communauté internationale (24 décembre)[16], la Russie conservait également son ambition d’être considérée comme la seule héritière de l’Union soviétique sur le plan militaire. C’est dans ce cadre que, le président soviétique démissionnaire Gorbatchev ayant remis le contrôle de l’arsenal nucléaire au président russe Eltsine le 25 décembre, un accord fut conclu le 30 décembre entre les quatre nouvelles puissances nucléaires (Russie, Biélorussie, Ukraine et Kazakhstan) pour instaurer un commandement unifié, sous contrôle russe, sur l’ensemble des forces stratégiques présentes sur le territoire de ces quatre pays[17].

Conclusion

Entre 1990 et 1992, l’armée soviétique vit ses derniers mois. Affaiblie par des années de guerre et des bouleversements (géo)politiques inattendus, elle venait de terminer l’évacuation de ses troupes d’Afghanistan et entamait le rapatriement de celles stationnées en Europe centrale et orientale. Malgré le déclin de l’armée soviétique sur le plan international, elle restait puissante et continuait à assure la défense et la sécurité de l’URSS, jouissant même d’un pouvoir politique important en RSFSR.

Néanmoins, après le putsch manqué d’août 1991, l’Union soviétique entama son irrésistible implosion. C’est à partir de ce moment que la RSFS de Russie commença à œuvrer pour le maintien de l’unité de l’ancienne armée soviétique. Ainsi, dès le 1° janvier 1992, l’Union soviétique ayant disparu, cette armée ex-soviétique, de facto sous contrôle russe, n’eut plus de statut officiel. Bientôt, elle finira par « imploser », formant les différentes armées nationales post-soviétiques.

Pour conclure, malgré cette « implosion » prochaine de l’armée ex-soviétique, la Russie continuera encore à tenter d’unifier le commandement des différentes armées des États membres de la CEI afin de maintenir son influence dans les secteurs militaires et sécuritaires au sein de l’espace post-soviétique. Ainsi, dans le prochain article, il s’agira de s’attarder sur la constitution de l’armée russe et son implication dans la priorité géopolitique donnée à l’ « Étranger proche » de la Fédération de Russie.

Notes et références en bas de page :
[1] ROMER Jean-Christiophe, « Une armée russe : quelle armée ? », Politique étrangère, vol.57, n°1, 1992, p63.
[2] VAN DRIESSCHE Véronique, Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS : De la Glasnost à la fin de la guerre froide, s.l. : 50 Minutes, 2015, p25.
[3] ROMER Jean-Christiophe, op.cit., p71.
[4] JOYAUX François, Encyclopédie de l’Europe : géographie, histoire, société, politique, économie, Paris : Seuil, 1993, p235.
[5] BALARD Michel, BERGER Françoise, FERRAGU Gilles, Le XX° siècle (1914-2001), s.l. : History, 2013, p288.
[6] ROMER Jean-Christiophe, op.cit., p69.
[7] Interview du général Volkogonov accordée à Soïouz, n°6, février 1991. « Au lendemain du putsch, Boris Eltsine a effectivement fait son entrée au Conseil de défense. » (Idem, p73.)
[8] Idem., p69.
[9] Id., p70.
[10] Id., p67.
[11] TIRASPOLSKY Anita, « Russie – [URSS] - Russie », Politique étrangère, vol.65, n°3, p763.
[12] ROMER Jean-Christiophe, op.cit., p69.
[13] Crise sur le partage des navires et des infrastructures dépendant de la Flotte soviétique de la Mer Noire.
[14] ROMER Jean-Christiophe, op.cit., p66.
[15] YAKEMTCHOUK Romain, La Communauté des États indépendants, Paris : Annuaire français de droit international, vol.41, n°1, 1995, pp245-280.
[16] HAMANT Hélène, Succession de l’URSS : recueil de documents, Bruxelles : De Boeck, 2010, 362p.
[17] « 3-30 Décembre 1991 URSS », Universalis, [en ligne], s.d., [http://www.universalis.fr/evenement/3-30-decembre-1991-disparition-de-l-et-demission-de-mikhail-gorbatchev-apres-la-creation-de-la-c-e-i/], (consulté le 19/02/2017).

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